Formation 2018 de la Mission Ouvrière
autour du livre de Claude Rault « Jésus l’homme de la rencontre ».
Les Rencontres de formation de la Mission Ouvrière – Chez Pères de la Salette Rue Barbusse – Échirolles
-1ère rencontre: samedi 2 décembre 2017 (9h30-11h30) – Guérison de l’aveugle né
– 2ème rencontre: samedi 20 janvier 2018 (9h30-11h30)- Résurrection de Lazare
– 3ème rencontre: samedi 24 février 2018 (9h30-11h30)- L’onction de Béthanie – Le lavement des pieds
– 4ème rencontre: samedi 7 avril 2018 (9h30-11h30) – La rencontre au tombeau vide
1ère Rencontre Formation MO
GUÉRISON DE L’AVEUGLE-NÉ
Je suis la lumière du monde
Un vieux rabbin demandait à ses disciples à quoi l’on peut reconnaître le moment où la nuit s’achève et où le jour commence.
– Est-ce lorsqu’on peut sans peine distinguer de loin un chien d’un mouton ?
– Non, dit le rabbin.
– Est-ce lorsqu’on peut distinguer un figuier d’un dattier?
– Non, dit encore le rabbin.
– Mais alors, quand est-ce donc ?, demandèrent les élèves.
Le rabbin répondit: C’est lorsqu’en regardant le visage de n’importe quel homme, tu reconnais ton frère ou ta sœur. Jusque-là, il fait encore nuit dans ton cœur.
(Jean-François Six. Les Béatitudes aujourd’hui, p. 221)
La clé de cet événement de la guérison de l’aveugle-né est, bien sûr, dans la ligne de cette autre vision qu’est la vision intérieure. Si nous voulons accéder à la lumière, il faut d’abord reconnaître que nous en sommes dépourvus. Et si nous faisons cet aveu, alors nous commençons à voir. Si vous étiez des aveugles, vous seriez sans péché ; mais vous dites «Nous voyons»: votre péché demeure (Jn 9,41). Il a seulement manqué aux pharisiens de laisser de côté leur savoir usé et trop sûr de lui-même et d’accueilli cette Lumière nouvelle venue éclairer leur nuit.
Tout cet épisode est construit à la façon d’un procès qui n’est autre que celui de la Lumière elle-même. 11 est facile d’en suivre les différentes étapes. Vivons ce procès «de l’intérieur». Avec l’aveugle, nous entrons dans une démarche de foi qui nous conduira à percevoir Jésus avec des yeux renouvelés. À moins de renaître, nul ne peut VOIR le Royaume de Dieu… (Jn 3,3)
Jésus guérit l’aveugle-né (Jn 9,1-7)
Dans tout procès… il faut un délit, sinon, il n’y a pas d’accusation! Celui de l’aveugle-né sera d’y voir clair! Et celui que l’on imputera à Jésus sera bien sûr d’avoir été à l’origine de la vue de cet homme qui n’avait jamais vu. En passant, il VIT un homme qui était aveugle de naissance… (Jn 9,1). Jésus est peut-être passé plusieurs fois devant cet aveugle… et ils étaient nombreux en son temps ! Aujourd’hui, il passe et il le « voit » dans un nouveau relief. C’est un homme qui n’a pas encore achevé de naître puisqu’il ne sait pas encore ce que c’est que de voir. Comme tous les handicapés, les mal voyants, les boiteux, cet homme est à part, marginalisé, regardé de travers ou par pitié par ceux qui le voient car s’il est aveugle, c’est qu’il y a quelque chose dans sa vie qui doit se situer dans l’ordre du péché, de quelque faute cachée… Les disciples aussi le voient… et ils interrogent Jésus avec la question classique : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents ? (Jn 9,2). La souffrance de l’autre – le malheur innocent – nous désarçonne toujours : •
« Dieu a été bien trop souvent diffamé par ceux qui semblent être de vrais descendants des amis de Job et qui se croient mieux informés que tout le monde et se comportent comme s’ils étaient reliés par téléphone rouge à la salle de conseil de la divine Trinité. Avec respect, nous devons reconnaître notre manque total de connaissance en la matière. En fin de compte le mal et la souffrance restent un mystère. Connaître leur pourquoi, leur sens profond, c’est être Dieu et non plus homme. Nous ne saurons jamais tout ce qu’il y a à savoir, car nous sommes chair et non pas Dieu.» (Desmond Tutu. Prisonnier de l’Espérance, p. 27)
Remarquons que Jésus ne cherche pas le « pourquoi ». II ne s’attarde pas à cela, il ne se tourne pas vers le passé, mais une fois encore il se tourne vers l’avenir. Car pour lui, cet homme a un avenir et dans cet avenir, il va lui manifester la miséricorde et l’humanité de Dieu. La lumière qui est en lui, il va, par un geste créateur, la communiquer à cet homme qui en est privé. Il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé (Jn 5,17; 9,4). De sa propre salive, il fait de la boue et en met sur les yeux de l’aveugle. C’est le geste de Dieu modelant l’homme. Yahvé modela l’homme avec la glaise du sol ; il insuffla dans ses narines une haleine de vie… (Gn 2,7).
Et il l’envoie à la piscine de Siloé, « la piscine de l’Envoyé». Jésus n’est pas un magicien, ni un simple guérisseur. Il fait de l’homme un partenaire de sa propre guérison. Il faut qu’il fasse une démarche libre, ce ne sera pas immédiat. Il renvoie l’homme aveugle avec sa propre obscurité. Sa démarche confiante, dans la nuit de sa foi, avec la seule parole reçue de Jésus va devenir lumière pour les générations futures.
«Les pauvres qui se lèvent à l’appel de Dieu sont les premiers théologiens qui nous appellent à redécouvrir que la Parole de Dieu est la seule qui fasse ce qu’elle dit. En faisant ce qu’elle dit, ils nous révèlent qu’elle est à l’œuvre dans l’histoire» (Vincent Cosmao. Problématique de la théologie de la libération).
La guérison n’est ni automatique ni instantanée. L’aveugle doit faire une démarche de foi, partir tout seul, pour être libéré de sa nuit. La seule lumière est une parole dite par un homme qu’il n’a pas encore vu. Nous sommes d’emblée aux prises avec notre existence chrétienne. L’aveugle s’en alla, il se lava, et il revint voyant clair (Jn 9,7; cf. Jn 9,11b). Mais il va lui falloir maintenant assumer sa guérison.
Ce défi d’assumer me fait penser à un cousin qu’un accident est venu enlever soudainement à la vie. Profondément handicapé depuis sa naissance, il avait, avec l’aide de ses parents, mais avec une volonté farouche, surmonté cet handicap, passant son permis de conduite, se lançant dans les études jusqu’à obtenir un doctorat en droit… Un jour, au cours d’un repas pris ensemble, sa sœur qui avait beaucoup de mal à accepter le handicap de ce frère qu’elle chérissait, et qui le connaissait fort bien, lui demanda: «mais pourquoi n’as-tu jamais prié pour ta guérison ? » Et lui de répondre : « Parce que je ne suis pas sûr de pouvoir assumer ma guérison ! ».
C’est maintenant ce que va devoir faire l’aveugle guéri qui est maintenant lancé dans une aventure à rebondissement, et qui va l’exclure de sa communauté ! Il va falloir que son entourage l’accepte : maintenant… il voit !
Rencontre avec les voisins, les gens habitués à le voir mendier (Jn 9,8-13)
Est-ce lui? Non, mais quelqu’un qui lui ressemble… Mais non, c’est bien moi ! On voit comme cet homme va déranger tout le monde. Il est maintenant sujet de division autour de lui… On veut l’enfermer dans le vase clos de son statut social antérieur, dans son image de mendiant. La question de ces gens n’est au fond qu’une manifestation de curiosité. Ce sont des «voyeurs». Devant cet événement qui apporte du neuf dans leur actualité, on s’interroge sur le «comment». Comment il avait recouvré la vue (Jn 9,15). Non pas «pourquoi», « par qui » mais « comment » ? C’est toute la distance entre le « signe » et le fait extraordinaire, le «miracle», l’attachement à un sensationnel qui va faire la « une » ! Si la télévision avait existé, il y aurait sûrement eu un «scoop».
Rencontre avec les Pharisiens et début du procès (Jn 9,13-17)
C’est à partir de maintenant que l’événement prend la tournure d’un procès. Jésus le constatera à la fin : C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles (Jn 9,39). Les questions vont toujours tourner autour du « comment »… Et plus nous allons avancer, plus nous allons voir les pharisiens s’enfoncer dans la nuit tandis que peu à peu, l’homme guéri va parvenir à la vraie lumière.
Jésus est déjà condamné : il a osé faire de la boue un jour de sabbat ! Toujours la Loi. Rien que la Loi. Bien sûr, pour protéger l’honneur de Dieu! Mais voici que l’ardeur de l’observance de la Loi, ferme les yeux à ce que Dieu peut faire de neuf dans la vie des hommes. Devant cette fermeture, l’ancien aveugle est catégorique : C’est un prophète ! (Jn 9,17). Première démarche vers la foi, une foi qui ne va cesser de grandir au fur et à mesure que le procès va se dérouler.
L’intervention des parents (Jn 9,18-23)
On fait venir les parents. En termes juridiques, on appelle cela «la comparution des témoins». On cherche à noyer le poisson: et si cet homme n’avait pas été vraiment aveugle? Quelle aubaine si cette guérison n’était qu’un truquage! Mais ce sera, comme souvent, la déposition de la peur. Oui, il était aveugle… c’est tout ! Pour le reste, surtout ne nous en demandez pas plus. Il a l’âge, il s’expliquera lui- même (Jn 9,22). Surtout, pas d’histoire… Notre homme est lâché par sa propre famille et se trouve de plus en plus seul. Et Jésus est toujours absent.
Mais peu à peu une autre lumière semble faire son chemin en lui.
De nouveau devant les Pharisiens (Jn 9,24-34)
On revient devant les Pharisiens. La parodie de procès continue. L’aveugle guéri va opposer aux pièges de ses accusateurs, son simple et lumineux bon sens: celui d’une foi simple, non pas basée sur ce qu’il sait, mais sur ce qu’il a vécu, sur sa vérité intérieure. Sa clair- voyance est gênante et ne va faire que mettre en relief la nuit où ses adversaires s’enfoncent un peu plus à chaque investigation.
Il n’y a rien de pire que l’aveuglement religieux, d’où qu’il vienne. Tous les intégristes du monde sont des gens tristes, sans humour, absolument démunis de ce bon sens où peut se greffer la vraie foi. Ils se prennent pour les serviteurs d’un dieu terriblement ennuyeux et tyrannique: alors, il vaut mieux se mettre de son côté! Le fanatique en vient à se substituer à Dieu sous prétexte d’en défendre l’hon- neur… alors en son nom, les intégristes aveugles peuvent tout justifier: la violence, le mensonge, la torture, la corruption… et que savons nous encore ! Puisque c’est la Loi de Dieu que l’on défend !
A l’orgueilleux Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur (Jn 9,24) des Pharisiens, notre homme oppose un très humble Je ne sais pas. Et il poursuit avec un pointe d’humour ce que ceux d’en face font tout pour ne pas voir : …je ne sais qu’une chose : j’étais aveugle et maintenant, j’y vois ! (Jn 9,25): Nouveau questionnement sur le passé : Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? (Jn 9,26). Et le nouveau voyant de continuer à ironiser sur l’intention de ces hommes qui décidemment deviennent de plus en plus aveugles : Auriez-vous envie de devenir ses disciples vous aussi ? (Jn 9,27). Le ton monte, l’écart se creuse… Nous avons d’un côté la science sclérosée (notez l’utilisation répétée du verbe « savoir ») et de l’autre un homme tout seul qui ne peut témoigner que de ce qui lui est arrivé. Au savoir moisi et durci de ses accusateurs, l’homme en procès oppose la sagesse des humbles et des petits. Il n’a jamais pu lire dans les livres. Il n’a pas fait d’études. Il confesse ce qu’il croit : Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire (Jn 9,33). Ces hommes de science n’apprécient guère qu’on leur fasse la leçon et leur dernier argument est celui de la violence par l’exclusion. L’aveugle guéri est chassé de la synagogue, pour simple délit de vérité et de guérison.
J’ai reçu un jour cette belle lettre d’une vieille amie quasiment aveugle, lettre écrite à la machine: «Jésus est notre lumière. Il peut faire de nous des aveugles qui voient, des sourds qui entendent. De toute façon, ceux qui croient voir doivent s’incliner très fort pour l’apercevoir, tant il est petit, notre Dieu, à moins d’être eux-mêmes des enfants… Prie pour moi qui ne reverrai que dans la mesure où je deviendrai petite»…
Rencontre entre l’aveugle et Jésus (Jn 9,35-41)
Ce qui est frappant et à la limite choquant dans ce récit, c’est l’absence de Jésus ! Il s’est tenu à l’écart, lâchant l’aveugle guéri, obligé d’avancer tout seul, de s’éveiller peu à peu à la liberté. Jésus veut des disciples libres et debout. Jamais il ne se substituera à notre propre liberté. Il dit plus souvent « va ! » que « viens ! »
La rencontre finale est d’une grande brièveté. Quelques mots échangés : l’essentiel est dit. Crois-tu au Fils de l’Homme ? – Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois : c ‘est lui qui te parle. Alors il dit: «Je crois. Seigneur». Et il se prosterna devant lui. (Jn 9,35-38)
Et maintenant…
Dans les Evangiles, il n’est de plus belle parabole de notre vie de foi que celle de l’aveugle-né, il n’est pas de cheminement plus significatif de notre existence de croyants. Comme l’aveugle, nous avons été « baptisés », nous avons eu les yeux lavés à la piscine de l’Envoyé.
Notre baptême s’est déroulé pour la presque totalité d’entre nous dans la nuit de notre petite enfance. Il nous a fallu assumer notre baptême dans une absence quasi-totale d’évidence, voire même dans une solitude qui n’est autre que celle de notre propre liberté ! Il faut que Jésus s’efface de notre existence, précisément pour que notre liberté se mette en branle. Il nous faut marcher parfois seul et dans la nuit, affronter les doutes, les questionnements qui ébranlent, et marcher dans notre vie chrétienne ou notre engagement religieux, sur la seule parole qui nous a été dite : Va te laver à la piscine de l’envoyé.
La foi du disciple n’est pas une démarche qui baigne dans l’évi- dence; il nous faut affronter les contradictions de la vie – celles du dehors, et plus encore, celles qui nous viennent de l’intérieur. Nous aurions tellement de bonnes raisons de laisser notre engagement sur le bord de la route : nos échecs, nos insuffisances, nos médiocrités. La tentation la plus subtile qui nous guette, ce ne sont pas les grandes tentations à la saint Antoine, c’est le découragement du « à quoi bon… »
Nous étions partis «tout feu tout flamme» dans l’ardeur de notre engagement premier, souvent tout à fait inconscients de nos propres limites et des épreuves du futur. Et voici qu’avec le temps, nos ardeurs se sont émoussées. Nous allions transformer la face du monde… le monde est resté tel… et souvent, nous avons été pris par le piège de l’habitude, des conventions et des pratiques pieuses. Nous nous sommes quelque peu tassés ! Nous nous découvrons avec plus de réalisme et donc moins d’enthousiasme. Un certain nombre de nos compagnons et de nos compagnes, autrefois militants, prêtres, religieux, religieuses, ont parfois choisi d’autres engagements. Des collaborateurs proches, amis, sont partis militer ailleurs. Des membres de nos familles religieuses – et pas des moins donnés – ont fondé une famille, et il leur a fallu souvent beaucoup de courage pour affronter une nouvelle existence.
Et comme Elie, nous nous disons : Je ne suis pas meilleur que mes pères (1 R 19,4). Subtilement, le découragement risque de s’installer… A quoi bon ? Le Seigneur n’a pas besoin du bien piètre croyant que je suis, et finalement, la sainteté (celle que l’on couronne d’une auréole…) est une aventure qui n’est pas faite pour moi…
Il faut chasser ce démon, parce qu’il nous conduit à la médiocrité ou à la démission. Je ne puis le faire qu’en sortant de moi-même, qu’en prenant acte de ma propre faiblesse. Oui, je suis pécheur… je suis difficile en communauté ou en famille, indolent dans mon se vice, lent à me mettre en route… Je sens et je sais mes blessures.
Et puis après ? Mon handicap peut être le lieu où va se manifester les œuvres de Dieu. Jésus croit en l’avenir de l’aveugle que je suis : C’est pour qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu (Jn 9,3). Je suis une terre en travail, une terre d’avenir. Voilà ce que je suis. Et je n’ai pas le droit de dire qu’avec moi le Seigneur n’a rien à faire. Mon insuffisance, mon péché, mes chutes, tout cela peut être le point de départ d’une existence sans cesse renouvelée. Pourquoi ? Parce que le regard de Jésus s’est porté sur moi. En passant, il vit un homme… Il me voit. Avec lui, une nouvelle étape commence. Parce que lui croit en mon avenir.
Le Père Aimé Duval, ce jésuite à la guitare dont certains anciens chantent encore les refrains, raconte comment le retour à la vie et à la lumière lui ont été possibles après avoir sombré dans l’alcoolisme. Tout a commencé le jour où, devant d’autres personnes pauvres comme lui, le voile est tombé.
«Je m’appelle Lucien et je suis alcoolique. Si vous saviez le choc que l’on reçoit en disant ces mots ! A haute voix ! En public ! Tout seul, je me le disais depuis un an, mais jamais je n’avais osé le dire, pas même à mes copains. Pour la première fois enfin, publiquement, je fondais ma vie sur cette vérité. Vérité douloureuse mais vérité capitale : «Je m’appelle Lucien et je suis alcoolique. » Et les autres me regardent. Et nous scellons une amitié, à la vie et à la mort. Un respect à la vie et à la mort. Une confiance à la vie et à la mort. Quelque chose de monumental se fissurait dans ma tête : la honte. Et puis la raideur. Et puis le désespoir… Comme si nous autres chrétiens qui n’avons pas assez de cou- rage, nous nous mettions à dire devant la communauté rassemblée: je tiens à vous dire que j’ai volé… que j’ai humilié mon voisin… que j’ai été dédaigneux et fricailleur… A coup sûr, on serait guéri de la peur, de la méfiance. De la peur des autres, de la peur de leur jugement sur nous… L’humilité guérit de tout.» (Aimé Duval. L’enfant qui jouait avec la lune, p. 57-58)
Nos pauvretés, notre lenteur à croire, nos limites, notre péché même, peuvent être, en creux, le lieu où Dieu déverse la grâce pour un nouveau départ.
POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE
Je prends plus grande conscience de ce qu’est la Foi. Elle est un don à conquérir. Je prends du temps pour remercier le Seigneur pour le baptême, pour la Foi accueillie, pour cette lumière intérieure qui brille dans ma vie. Je Le remercie de pouvoir donner sens à ma vie.
Il me laisse libre, au point de me faire éprouver absence et solitude.
Ai-je parfois éprouvé cette absence de Dieu ? Le vide ? La nuit ? La solitude ? Qu’est-ce qui m’a aidé à surmonter ces heures de doute ? Qu’est-ce qui a fortifié ma foi?
Ces heures difficiles m’ont-elles aidé à être plus proche de ceux et de celles qui marchent dans la nuit ?
Comme l’aveugle guéri, je me prosterne et j’adore. Je crois. Seigneur ! Je le reconnais comme la lumière dans ma nuit.
2ème Rencontre Formation MO
Chapitre 12, Résurrection de Lazare – Jn 11,1-45
Jésus aimait Marthe, et sa sœur et Lazare
Que nous le voulions ou non, nous sommes marqués par une certaine caricature lorsque nous évoquons les personnalités et les vocations de Marthe et de Marie. Marie, la contemplative, assise aux pieds de Jésus et Marthe, la super-active s’agitant et faisant le tintamarre dans sa cuisine. Et bien sûr Marie ayant choisi cette meilleure place, n’a aucune raison de venir en aide à sa sœur ! Il n’y a qu’un pas à faire pour justifier la prédominance de la vie contemplative sur la vie apostolique active, alors que le récit de Luc (Lc 10,38-42) ne vise pas du tout cette problématique.
Quoi qu’il en soit, dans la communauté primitive l’équilibre a été effectivement difficile à trouver entre les exigences du service de la Parole (en particulier la prière et la prédication) et les nécessités du service de la communauté, entre autre des plus démunis. Nous trouvons ce dilemme dans les Actes de Apôtres. La communauté y fait face en instituant «les Sept» pour s’occuper des veuves de la communauté des Grecs de Jérusalem (Ac 6,1-7).
Cette remarque nous met dans l’ambiance de l’épisode de la résurrection de Lazare dont les deux grandes vedettes sont en fait Marthe et Marie. Lazare reste dans l’ombre de son tombeau. Ce récit apporte une nouvelle lumière dans la façon de regarder ces deux figures évangéliques et de les resituer et dans leur vocation et dans le poids de ce qu’elles représentent. Il semble même qu’il y ait dans le Quatrième Évangile l’intention de réhabiliter Marthe et de la sortir de ses casseroles. Nous pouvons regarder ces deux vocations sous un nouvel angle et dans un charisme que nous mettrons en lumière tout à l’heure.
Introduction du récit (Jn 11,1-5)
Tout de suite, c’est de la maladie de Lazare qu’il s’agit et c’est lui qui va provoquer sans le vouloir le long développement qui va suivre. // y avait un homme malade, Lazare, de Béthanie, village de Marie, et de sa sœur, Marthe (Jn 11,1). Pourtant, ce ne sera pas lui qui sera au centre du récit. Vous remarquerez le «jonglage» opéré par l’évangéliste qui évite la prédominance d’une sœur sur l’autre ! Le village de Béthanie est présenté comme étant celui de Marie d’abord, et de sa sœur Marthe. Marie est déjà présentée comme celle qui a oint les pieds de Jésus, événement qui sera signalé plus tard. Mais comme Marie a déjà été mentionnée la première, l’auteur semble vouloir rétablir l’équilibre en disant Jésus aimait Marthe, et sa sœur (non nommée) et Lazare (Jn 11,5).
Il paraît assez évident par ce jonglage des noms, que l’on ne veuille pas donner la prédominance à une sœur au détriment l’autre. Elles se sont d’ailleurs accordées pour avertir Jésus. Elles le font par un mandement très discret : Seigneur, celui que tu aimes est malade (Jn 11,3), qui nous fait penser dans sa forme à la parole de Marie adressée à Jésus lors des noces de Cana : Ils n ‘ont plus de vin (Jn 2,3). C’est un bel exemple de prière, exprimée dans la sobriété d’une parole qui laisse à Jésus la liberté de faire ce qu’il doit faire. La seule mention de celui que tu aimes suffit. La réponse de Jésus se veut rassurante. Son regard est en avant, il voit toujours plus loin. À travers l’épreuve, il y a l’au-delà de l’épreuve. Cette maladie est, dit-il, pour la gloire de Dieu (Jn 9,3). De même qu’il l’avait exprimé l’aveugle né : c’est pour qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu (Jn 9,3). C’est-à-dire qu’à travers l’événement, même celui de la maladie. Dieu peut avoir quelque chose à dire. Il ne s’agit pas de lui attribuer ce mal, la question n’est pas là. Jésus manifeste ici qu’il croit en l’avenir, même lorsque l’horizon s’obscurcit par la maladie ou la mort. Par deux fois il nous est dit que Lazare est malade. Par deux fois, il nous est dit que Lazare est aimé de Jésus. 11 y a là comme le dévoilement de la compassion. Il y a dans la compassion une prise en charge de l’autre, comme pour un nouvel enfantement. Cette prise en soi de l’autre a trait à la vie : « Pour moi, un véritable ami, c’est quelqu’un en qui je suis et qui est en moi» disait un musulman à son ami prêtre. Jésus «porte en lui » son ami Lazare dans cet amour qu’il lui porte.
Voilà, les personnages en place, et nous suivons le cours des événements qui vont surtout se dérouler autour de Marthe et de Marie.
L’attente de Jésus (Jn 11,6-16)
C’est sans aucun doute la partie du récit la plus difficile à saisir : Quand il eut appris que celui-ci était malade, il resta encore deux jours à l’endroit où il se trouvait (Jn 11,6). Pourquoi Jésus attend-t-il si longtemps avant de se décider à partir vers son ami Lazare? On a du mal à penser que volontairement il se soit attardé pour laisser à son ami le temps de mourir, fût-ce pour le ressusciter ! On imagine mal Jésus jouant avec la mort ! Alors pourquoi cette attente. Allons plus loin dans le récit. Lorsque Jésus parviendra au tombeau, cela fera quatre jours. « Il sent déjà » (Jn 11,39), lui dit Marthe. Donc tout sera déjà joué lorsque Jésus parviendra à la tombe de Lazare. Pourquoi Jésus a-t-il attendu? Nous nous heurtons ici au problème du mal. Le mystère de cette attente de Jésus semble rester entier. « Il n’y a aucun doute que cette méditation, aussi sommaire qu’elle soit, du mystère du mal, nous amène à découvrir plus profondément le Dieu intérieur qui est la Vie de notre vie, ce Dieu fragile et désarmé qui nous attend au plus intime de nous et qui nous est confié en nous, en autrui et dans tout l’univers» (Maurice Zundel. Je est un Autre, p. 41)
Cependant nous pouvons peut-être comprendre cette attente mystérieuse de Jésus. Ce qui joue à ce moment, c’est la tension dans le rapport entre Jésus et ses disciples. L’enjeu du voyage en Judée est sérieux. Il y va de la vie même de Jésus : il y est attendu pour être arrêté et mis à mort, il est recherché pour être lapidé. Or il se décide enfin : Allons en Judée (Jn 11,7). Ses disciples semblent se désolidariser de lui : Rabbi, tout récemment encore, les Juifs voulaient te lapider et (a retournes là bas? (Jn 11,8). Visiblement, les disciples n’ont aucune envie de le suivre. Or Jésus s’est exprimé au pluriel Allons, ce qui englobe les disciples qui s’expriment au singulier : tu retournes là-bas ! Ils sont prêts à laisser Jésus tout seul. Or celui-ci veut que les disciples l’accompagnent, c’est ce qu’il tente d’obtenir d’eux.
Pour ce faire, il va faire un jeu subtil de mots entre le sommeil et la mort. Peu à peu il va leur révéler de quel sommeil il s’agit et leur dévoiler que Lazare est bien mort. Il ne le fait pas tout de suite. La mort n’est pas une réalité que l’on puisse révéler et affronter en face. Nous le savons tous lorsque nous avons à annoncer à un de nos proches la mort d’un être cher : nous disons que cette personne est malade, ou accidentée, et finissons ensuite par trouver les mots pour annoncer sa mort. L’humanité de Jésus se révèle ici dans toute sa profondeur. Notre ami Lazare repose ;je vais aller le réveiller (Jn 11,11). A travers ce notre ami, il y a une tentative de ramener les disciples à lui, notre ami. Lazare n’est pas seulement aimé de Jésus, il l’est aussi des disciples. Mais ceux-ci ne comprennent toujours pas, comme s’ils refusaient de voir la réalité en face. Et finalement, il lâche ouvertement : Lazare est mort (Jn 11,14). C’est dit. Brutalement.
Que vont faire les disciples? C’est Thomas, l’apôtre des grands élans, qui va entraîner le groupe : Allons-y et nous aussi nous mourrons avec lui (Jn 11,16). Cette parole est décisive car elle engage les disciples sur le même chemin que Jésus. Etre disciple, n’est-ce pas suivre le Maître jusqu’au bout? Et les voilà partis pour l’accompagner.
L’attente de Jésus est liée à son rapport avec les disciples. Il les veut avec lui. Il ne fera rien sans eux. Il veut en faire les témoins de sa glorification. Pour cela, il s’adapte à eux et il marche à leur rythme. Les laisser seuls serait trahir sa mission. Ceux que tu m’as donnés, je veux qu ‘ils soient aussi avec moi pour qu ‘ils contemplent la gloire que tu m’as donnée (Jn 17,24).
Ceci en dit long sur la force et sur la qualité de la relation de Jésus à chacun et chacune d’entre nous. Cette relation est de l’ordre du don : Jésus appelle ses disciples ceux que tu m’as donnés. Il nous veut avec lui et près de lui. Il nous veut «en lui», comme membres de son corps. C’est d’ailleurs de cette façon que Paul voit la communauté des croyants : Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part (1 Cor 12,27). C’est en prenant conscience de la noblesse de notre vocation que découle le sens de notre vie chrétienne. Je suis un indispensable membre du Corps du Christ. Et ma relation à l’autre ne se comprend que dans ma relation au Christ lui-même. Il ne peut et ne veut rien sans nous, sans un élan de ma liberté qui me le fait choisir.
Jésus au tombeau de Lazare (Jn 11,17-44)
Nous allons maintenant être témoins de deux interventions, celles de Marthe et celle de Marie, deux interventions bien typées où va se dessiner nettement la vocation de chacune sans les opposer.
L’intervention de Marthe (Jn 11,17-27)
Jésus arrive donc. C’est le quatrième jour. Marthe, prend l’initiative d’aller à la rencontre de Jésus. Nous y reconnaissons sa spontanéité. Marie, elle, reste «assise» à la maison, attitude qui la caractérise aussi chez Luc.
Le dialogue qui va suivre est d’une grande intensité. Marthe commence par un reproche à peine voilé : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort (Jn 11,21) ». Parole assez dure, suivie cependant d’un mais qui laisse sa place à l’espérance. « Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (Jn 11,21-22). Elle sait que l’impossible est entre les mains de Dieu. Elle ne demande pas que Jésus ressuscite son frère, elle laisse Jésus libre dans son initiative. Sa foi va se dévoiler et grandir pas à pas.
Le premier pas est de manifester sa confiance en Dieu qui peut exaucer Jésus.
Le second est suscité par Jésus. « Ton frère ressuscitera » (Jn 11,23). Elle fait ce pas en disant sa foi en la résurrection finale, celle du dernier jour. Dieu délivre d’une mort définitive. Si Lazare est mort, Dieu est celui qui ressuscite au-delà de cette mort. Et Jésus se révèle lui-même : Je suis la résurrection… Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jn 11,25-26), affirmation qui est suivi d’une question : « Crois-tu cela ? » Jusqu’ici, Marthe a toujours dit « Je sais… » Jésus la pousse plus loin… Il l’invite à croire !
Troisième pas dans la foi de Marthe, décisif, celui-là : au-delà de son « savoir » pour ce qui est de la résurrection finale, Marthe affirme sa foi en Jésus : « Je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde ». Elle ne dit plus « je sais », mais « je crois ». Nous voyons ici tout l’écart qu’il peut y avoir entre un «savoir» et un attachement à la personne de Jésus. Nous passons ici du savoir à l’expérience ! « Dieu, c’est une expérience », dit Zundel. Il ne suffit pas de savoir son catéchisme ou ses prières par cœur. La foi nous amène à une relation personnelle à Jésus.
Nous sommes ici à un sommet de l’Evangile de Jean. Le but que l’évangéliste propose en racontant les signes de Jésus est d’amener la personne à la Foi. C’est ce qu’il dit dans la première conclusion de son évangile. Il parle d’autres signes relatés dans son livre … « ceux-ci l’ont été pour que vous croyez que Jésus est le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20,31).
La foi de Marthe s’élève à la hauteur de celle de Pierre à Césarée : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Et c’est d’une femme qu’elle nous est transmise. La place des femmes dans le récit de Jean est très marquée. Quant à Marthe, elle n’est plus la femme qui s’agite dans sa cuisine. Elle est « Femme Disciple » à part entière, capable de confesser la Foi aussi bien que Pierre lui-même. Ceci devrait nous en dire long sur la place des femmes dans l’Eglise !
Elle a dit ce qu’elle avait à dire. Elle peut maintenant aller chercher sa sœur, et lui transmettre le relais. Il n’est pas dit que Jésus lui ait demandé de faire cette démarche, cependant, elle lui signale : « Le maître est là, il te demande » (Jn 11,28). Et elle s’efface devant elle. Beau geste de complicité et de communion dans cette relation à Jésus.
L’intervention de Marie (Jn 11,28-38)
L’intervention de Marie ne va pas jouer sur le même niveau. Elle se précipite, arrive en hâte, accompagnée aussi des amis venus la consoler. Jésus n’est pas encore parvenu au tombeau. Il est resté sur place, et c’est seulement lorsque Marie arrive, qu’il se rend au tombeau. Sa conversation avec Marthe a été absente de toute émotion, si l’on peut dire. Il a besoin de Marie maintenant pour aller à l’endroit où Lazare a été enseveli, il a besoin d’être accompagné de cette présence plus «humaine» pour accomplir cette difficile démarche. Elle se jette aux pieds de Jésus, parle avec tout son corps, et dans son geste, elle lui fait le même reproche que sa sœur : Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort (Jn 11,32).
Et nous passons à un autre registre que celui de la foi : la compassion. Elle sanglote, ainsi que les gens venus l’accompagner. C’est cela qui atteint Jésus dans ses profondeurs. L’émotion de Marie atteint Jésus. Jésus frémit intérieurement (Jn 11,33). Le terme employé est plus exactement : il fut violemment ému. L’attitude de Jésus devient totalement différente, il est touché à l’intérieur, dans son affectivité, dans son amour blessé. Le registre de la foi peut souvent rester au niveau froid, un niveau rationnel, voire dogmatique de notre relation à Jésus. La foi ne suffit pas. Elle doit devenir «chair». Et c’est Marie de Béthanie qui en Jésus lui donne cette dimension. Elle touche son cœur.
D’où vient cette « violence » dans l’émotion de Jésus ? Il aimait Lazare. Il aime les deux sœurs. Il est pris de cette compassion violente que l’on éprouve devant la mort de ceux qu’on aime. Jésus est troublé, et il pleure. Marie est face à Jésus dans un autre rapport que Marthe. Cette relation se situe non pas au niveau de la foi mais de la compassion.
Ce passage de la profession de foi à la compassion nous interpelle dans notre relation à l’Islam et aux Musulmans. Ce que nous appelons le « Dialogue » reste trop souvent au niveau de l’intellect, des dogmes, des vérités de foi. Il n’a pas d’âme. C’est dans la prise en compte de notre existence commune qu’il peut prendre chair, et nous lance dans la grande aventure de la vie. Christian Chessel est un jeune Père Blanc assassiné dans la « décennie noire » qu’a connue l’Algérie dans les années 90. Il nous a laissé ces réflexions peu de temps avant sa mort :
«La compassion peut être aussi l’un des premiers mots d’un langage islamo-chrétien, car elle se révèle comme l’expression d’une expérience commune de Dieu ou de l’homme qui est au-delà des mots et des schémas de pensée. Elle est donc fondamentalement une expérience de grâce, le fruit d’un travail de l’Esprit Saint à l’œuvre dans le cœur de tout homme et donc de l’homme croyant.
Elle seule peut ramener à leur lieu véritable, le cœur, nos schémas, et nos jugements trop rationnels sur Dieu et l’autre d’une part, nos sentiments trop passionnels sur Dieu et l’autre d’autre part : entre réactions cérébrales et réactions viscérales, la compassion permet de découvrir ce que peuvent être des relations cordiales entre créatures de Dieu. Ainsi le rappelle la tradition musulmane : « Quiconque compatit à la souffrance d’autrui mérite d’être appelé « rahîm » C’est d’abord par la compassion que chrétiens et musulmans se découvrent de véritables croyants lorsqu’ils se trouvent affrontés à la violence.
… À un moment où les mots eux-mêmes souffrent violence, retrouver un sens commun de la compassion s’appuyant sur une expérience commune de la souffrance peut ouvrir de nouveaux chemins au dialogue islamo-chrétien ne devrait-il pas servir de modèle?» (Christian Chessel. La compassion, premier mot d’un langage islamo-chrétien pour temps de crise)
C’est à ce niveau, celui de la compassion, que Marie a rejoint Jésus, dans son lien intime avec Lazare, un lien qui est remarqué par son entourage : « Comme il l’aimait ! » (Jn 11,36). Et ceux qui murmurent restent prisonniers dans leur tête. Nous mesurons ici la conséquence de la mystérieuse attente de Jésus : l’incompréhension « Ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourut pas.. ». (Jn 11,37).
De nouveau Jésus est secoué d’une émotion violente, et il se rend au tombeau. Et il dit donne un ordre qui va tout précipiter : « Enlevez la pierre! » Une parole d’autorité qui va donner une tournure à l’événement. Comme celle dite aux servants de la noce à Cana : « remplissez d’eau ces jarres ».
La résurrection de Lazare (Jn 11,39-44)
Marthe intervient une dernière fois, dans une ultime hésitation, un ultime doute qui caractérise la foi. Il ne peut y avoir de foi sans cette pointe de doute qui la fait grandir : « Seigneur, il sent déjà : c’est le quatrième jour » (Jn 11,39). La foi se mesure lorsque nous sommes au pied du mur, et c’est dans l’épreuve qu’elle se fortifie. Nous ne sommes plus au niveau des déclarations solennelles, mais d’un doute à dépasser et qui demande à faire confiance jusqu’au bout, jusqu’au seuil de cet impossible qui peut donner le vertige ! Il nous est trop facile et trop banal de réciter notre Credo. Cela se fait souvent dans une précipitation essoufflante, comme si nous faisions un cent mètres pour arriver à notre « Amen » final le plus vite possible ! Mais au sortir de notre célébration… croire devant l’impossible, espérer devant l’inespéré ! ! ! Nous oublions totalement ce que nos lèvres viennent de proférer. C’est terriblement engageant le Credo… lorsqu’on y pense ! Il vaut peut-être mieux ne pas y penser.
Jésus, justement, demande cette confiance au-delà du possible : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » (Jn 11,40). Marthe est appelée à une cohérence entre sa belle affirmation de foi en Jésus et la confiance qui lui est demandée dans le moment présent.
La pierre est enlevée. Le mort est devant Jésus, à quelques pas. Et il ne le regarde pas. C’est vers le Ciel, vers l’en-Haut qu’il lève les yeux. Geste qu’il fait avant le partage du pain, non pas avec une demande, mais dans une reconnaissance anticipée. Il dit « merci» avant d’avoir reçu ! Il reconnaît la source de la vie avant de la donner. Il rend grâces avant d’être exaucé, dans une prière dont l’enjeu est de taille. Il y va de la gloire de son Père. Il y va de sa propre crédibilité : « afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jn 11,42).
Et sa voix retentit, plus forte que la mort : « Lazare, viens ici, dehors ! » (Jn 11,43).
Lazare sort, ficelé comme un nouveau-né. Ne s’agit-il pas en effet d’une nouvelle naissance ? Il est arraché du sein de la terre comme un enfant expulsé des entrailles de sa mère. Il est véritablement porté, pieds et mains liées, saisi par cette parole d’autorité qui l’arrache au tombeau. Les forces de la vie, plus forte que la mort, l’ont jeté dehors.
Jésus a fait ce qu’il avait à faire : « Déliez-le et laissez-le aller » (Jn 11,44). Le moment est grave. Jésus vient, par le retour à la vie de Lazare, de signer sa condamnation à mort. Mais pour Jésus la mort, c’est tout autre chose. Le poète José Calderon Salazar, journaliste au Guatemala, écrivait :
« Je suis menacé de mort corporelle. Qui n’est pas «menacé de mort » ? Nous le sommes tous, depuis notre naissance. Car naître, c’est déjà mourir un peu. Menacé de mort? Mais alors? Si cela est, je leur pardonne d’avance. Que ma croix me permette de continuer à aimer, à parler, à écrire ! Et à faire sourire, de temps en temps, tous mes frères les hommes.
Je suis menacé de mort. Il y a dans cet avertissement une erreur profonde. Ni moi, ni personne ne sommes menacés de mort. Nous sommes menacés de vie, menacés d’espérance, menacés d’amour. Nous nous trompons. Chrétiens, nous ne sommes pas menacés de mort. Nous sommes menacés de résurrection. »
La pire des menaces peut devenir le sentier de notre espérance.
POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE
Je médite sur ces amitiés humaines de Jésus. Il a aimé des hommes. Il a aimé des femmes. En aimant des femmes, il a brisé les peurs et les interdits de son temps, de sa culture, de sa religion. Il a su aussi en bannir les ambiguïtés.
Je suis moi aussi lié(e) à des amitiés humaines. Et j’y fais entrer la lumière de Jésus. Comment est-ce que je les vis ? Avec quelle clarté ?
Je remercie le Seigneur d’avoir mis sur ma route des hommes, des femmes, pour me faire grandir en humanité.
Je puis aussi regarder Jésus devant la mort. Entrer dans ses hésitations, ses peurs, ses pleurs. Méditer aussi sur non pas la mort, mais ma mort. Regarder Jésus devant la mort de Lazare, et aussi devant la sienne m’aidera à la regarder avec plus de sérénité et de détachement. Et je puis déjà offrir ce « passage » qui sera une entrée définitive dans la vie, dans Sa Vie.
3ème Rencontre Formation MO
Chapitre 13 – L’onction de Béthanie (Jn 12,1-11) – Le lavement des pieds (Jn 13,1-15)
…pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous (Jn 13,15)
L’onction de Béthanie et le lavement des pieds ont été mis sous le même titre. Nous nous mettons ici au plus « bas » de la personne, ce qui ne veut pas dire que ce plus bas soit le moins noble ! Les pieds, souvent, sont considérés avec un certain dédain. Pourquoi dit-on : « bête comme ses pieds » ? Alors que ce sont nos pieds qui nous portent, qui nous permettent de nous déplacer. Ceux qui en sont privés savent ce que c’est que de ne plus avoir de jambes ! Il y a une sorte de réhabilitation des pieds à travers ces deux récits. Le geste de Marie et celui de Jésus se trouvent englobés dans le même geste symbolique, la même attention, la même démarche qui nous fait entrer dans le même mouvement pascal.
La vocation fondamentale du disciple est de servir. Pas comme esclave. Mais servir par amour de l’humanité, par passion pour elle. C’est la condition de serviteur que Jésus a choisi de vivre dès le début de sa mission. Plusieurs fois, il a pu être tenté de dévier de cette ligne, et à chaque tentation, il a su faire les ruptures nécessaires. Le nom de «serviteur» n’est pas appliqué à Jésus dans l’Évangile de Jean. Mais les attitudes dans lesquelles on le voit agir nous ramènent à l’image du « Serviteur» du livre d’Isaïe. Jésus en effet ne « rend » pas des services… comme nous pouvons le faire. Sa condition essentielle est de servir. Même s’il le fait en maître… Se rejoignent en lui le maître et le serviteur, l’alpha et l’oméga. (Cette coïncidence trouve son sommet dans le lavement des pieds.
Mais auparavant, nous nous arrêterons sur l’onction de Béthanie: elle est le prélude, la porte d’entrée de tout le drame qui va se dérouler. Le geste de Marie de Béthanie envers Jésus nous dit également comment elle et lui se voient avant d’entrer sur le chemin qui va le conduire de la mort à la résurrection, le chemin de son élévation et de sa glorification. L’onction de Béthanie et le lavement des pieds nous disent également comment nous avons nous aussi à nous mettre à la suite de Jésus.
L’onction de Béthanie (Jn 12,1-8)
Cet événement est présenté comme prélude dans le contexte de la fête de Pâque qui se trouve être la troisième mentionnée par l’Évangéliste. La décision d’arrêter Jésus est déjà prise par les notables. Il est même attendu, étant donné que, comme tout juif fidèle, il lui faut venir à Jérusalem pour la fête. Mais il n’y est pas encore passé, il a dû cette fois-ci emprunter la vallée de Jéricho pour monter à la Ville Sainte et s’arrêter à Béthanie, qui est sur son chemin. Il s’était d’ailleurs réfugié dans la région d’Ephraïm après la résurrection de Lazare. Cette résurrection avait été, nous l’avons vu, déterminante sur le sort qui lui a été réservé. Jésus décide de son heure. Il ne va vers Jérusalem que lorsqu’il en a décide.
Jésus vient donc à Béthanie, un lieu et une famille qui lui étaient familiers. Lazare est là, sans plus. Jamais on ne le voit intervenir. Curieux homme dont on nous dit seulement qu’il était aimé de Jésus au moment où il est en danger: Seigneur, celui que tu aimes est malade (Jn 11,3). Jésus s’arrête donc chez lui. On offre un repas. L’ambiance serait plutôt à la fête après l’événement de la résurrection de cet homme.
Les rôles semblent bien répartis. Marthe servait, dihkonei… Jn 12,2) dans tout l’Évangile de Jean, ce verbe diakonein – diakonein, servir, revient trois fois. Il est mentionné ici, appliqué à Marthe. Et on pressent que si on nous dit que Marthe servait, elle faisait plus qu’apporter les plats sur une table. Cette racine grecque indique très tôt dans l’Église une place particulière de la part des disciples: un véritable ministère ! La preuve ? Deux autres emplois de ce verbe se rencontrent un peu plus loin dans l’Evangile : « Si quelqu’un me sert, qu’’il me suive et où je suis là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12,26). Lors de la résurrection de Lazare, Marthe s’est déjà montrée une authentique disciple. Elle avait attribué à Jésus ses titres les plus élevés, au moment même où il arrivait à Béthanie. Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde (Jn 11,27). Elle a confessé sa foi à un degré aussi sublime que Pierre à Césarée. Deux qualités font donc de Marthe une authentique disciple de Jésus :elle confesse la foi en Jésus et elle sert.
La vocation de Marie, sa sœur, est dans une autre ligne, mais elle est aussi dans la perspective de l’événement pascal. Nous imaginons la scène. Nous somme en plein déroulement du repas, elle vient vers Jésus avec un vase de parfum (un peu plus de 300 grammes) très coûteux, nous dit-on. Le regard avisé de Judas Ta tout de suite évalué à 300 deniers, 300 journées de travail d’un ouvrier de l’époque ! Et elle répand ce précieux parfum sur les pieds de Jésus. Et, par un geste très féminin, plein d’affection et d’amour, à la limite même de la pudeur lorsque l’on sait le sens des cheveux déroulés dans le monde sémite, elle en essuie les pieds du maître. Il n’est pas dit qu’elle ait brisé le vase. Tout se passe comme si elle commence un geste qu’elle terminera plus tard.
Il faut être femme pour sentir et comprendre le sens du geste :
« Rien n’est trop beau pour le Christ dont Marie a la vision prophétique. Après lui avoir oint les pieds, elle les essuie avec sa chevelure. L’offrande ne s’en tient pas là ; en essuyant de ses cheveux, Marie s’engage avec tout son corps. L’amour donne et se donne. Elle se fait en quelque sorte servante et serviette, sujet et objet en figure de la passion. Servir, en effet, c’est offrir ce que Ton a et ce que l’on est. Jésus au repas eucharistique se fera à la fois convive et nourriture. Telle est la radicalité de son offrande. » (France Quéré. Les femmes de l’Evangile)
Tout de même quel gaspillage ! Son geste exaspère Judas. Et pour cause: c’est, semble-t-il, autant d’argent qui lui file entre les doigts ! Jean nous dit que sa réaction est hypocrite. Il n’avait guère souci des pauvres, et il est qualifié de voleur.
Mystérieuse figure de Judas ! C’est un homme qui pourtant a suivi Jésus, il compte parmi les Douze choisis comme piliers de son Église. Ne le « diabolisons » pas, ne l’envoyons pas trop vite en enfer ! Nous sommes aussi marqués à l’intérieur de nous-mêmes par ce mystérieux destin : la trahison, la déception de voir que le chemin de Jésus ne passe pas directement par le succès et la réussite humaine.
« Judas est le support d’un mystère du mal qui dépasse de beaucoup sa propre personne et sa responsabilité. Il demeure comme le symbole de la cassure prévue dans le dessein de Dieu, comme si la communion la plus profonde portait en elle une inévitable fissure. » (Annie Jaubert. Approches de l’Évangile de Jean)
Jésus coupe court à son intervention et va donner le vrai sens du geste de Marie. « Laisse-la ». C’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum (Jn 12,7). La TOB semble traduire de façon plus exacte : « Elle observe cet usage en vue de mon ensevelissement. » Marie se comporte en véritable partenaire de Jésus dans ce qui va s’en suivre. Au moment où Jésus entre dans un drame où les hommes vont défaillir et le lâcher les uns après les autres, ce sont les femmes qui prennent le relais. Marthe sert Jésus encore vivant. Marie est prête à l’accompagner de très près jusque dans les rites qui vont entourer sa mort !
Tous les Evangiles sont unanimes à mettre en relief la place des femmes dans le mystère pascal. Jean le fait avec plus de force encore que les autres. La femme a, dans les Evangiles, un lien particulier avec le mystère pascal. Nous y reviendrons.
Il est aussi une autre parole de Jésus qu’il faut retenir dans sa réponse à Judas : « Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours » (Jn 12,8). Jésus revendique une place toute particulière : c’est d’être le pauvre parmi les pauvres. Le moment qu’il est en train de vivre est absolument unique. Il ne se repassera plus dans l’histoire. Jésus devait mourir pour la nation, et non seulement pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,51-52). Marie de Béthanie a pressenti le sens du don de la vie de Jésus, la portée de sa mort et c’est ainsi que Jésus la comprend en dévoilant le geste fait sur lui par elle, restée silencieuse. Le prix payé par Marie pour annoncer l’événement est sans mesure par rapport à ce que Jésus va vivre à travers cette mort et son ensevelissement. Une livre de vrai nard, si pur soit-il, on peut en faire une évaluation. Par contre, le don que Jésus va faire de sa vie n’a pas de prix !
Marthe et Marie s’offrent à la postérité comme d’authentiques disciples de Jésus. Marthe ici dans sa vocation de service, de «diaconie». Marie dans un geste qui la range au niveau des prophètes. La femme sera d’ailleurs consacrée dans ce rôle, dans cette vocation prophétique, un moment de la Résurrection.
Le lavement des pieds (Jn 13,1-20)
L’abaissement du serviteur (Jn 13,1-5)
« Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin » (Jn 13,1). Lorsque nous lisons ce court passage, nous sommes tout de suite saisis par la majesté qui en rayonne. Le geste que va faire Jésus est annoncé sur un très vaste horizon, une « mise en scène » qui n’a rien de théâtral. Ce que Jésus va faire, il va le faire par amour. Jésus harmonise en sa personne deux dimensions que l’on pourrait regarder comme contradictoires. Il est le Fils, le Fils bien-aimé, le Fils aimant jusqu’au don de sa vie. Et il est en même temps le Serviteur. Ce sont deux grands pôles de son être profond : Fils du Père et Serviteur des hommes. Il est doté d’une personnalité extraordinairement unifiée. En Lui se conjuguent le Premier et le Dernier, le Maître et l’Esclave, le Fils et le Serviteur.
Dans ces quelques versets qui nous introduisent au lavement des pieds, c’est l’hymne aux Philippiens qu’il faut relire (Ph 2,6-11). « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes » (Ph 2,6-7)
Sa condition d’esclave, il la marque en quittant son manteau et en prenant le tablier du serviteur. Son seul vêtement liturgique est le tablier de l’esclave ! C’est avec lui qu’il va célébrer la liturgie pascale ! Et que va-t-il faire dans le déroulement de cette liturgie ?
En Orient, on circulait souvent les pieds nus et il était tout à fait normal de se laver les pieds en entrant chez les gens ou chez soi. Mais on le faisait soi-même… ou on confiait cette tâche avilissante à un esclave, pas n’importe lequel. Une tradition juive, issue du Lévitique (Lv 25,39) en témoigne : « Si ton frère tombe dans la gêne et s’il se vend à toi, tu ne lui imposeras pas un travail d’esclave ». Et on énumère les travaux d’esclave qu’un juif ne devait pas accomplir. Le premier de ces travaux interdits à l’esclave juif est : il ne doit pas laver les pieds. Jésus prend ici la condition de l’esclave, mais de l’esclave païen !
Le dialogue avec Pierre (Jn 13,6-11)
Si Pierre a vraiment compris le sens du geste de Jésus, il ne peut qu’avoir un mouvement de recul devant lui qui a pris, à ses pieds, la position de l’esclave. Il n’est pas sans ignorer les prophéties d’Isaïe sur la fin tragique du mystérieux Serviteur. S’il réagit avec tant de vigueur, c’est qu’il a mesuré l’enjeu ce qui est en train de se passer. Ce n’est pas ce Messie là qu’il attend ! Il y a un lien étroit entre le fait de laver les pieds comme le dernier des esclaves et celui de « donner sa vie pour la multitude ». Jésus entre dans un processus qui va le conduire à la mort, au don de sa vie. C’est tout le quatrième chant du Serviteur qui se déroule dans la tête de Pierre : celui de la mort mystérieuse du Serviteur : « Par ses souffrances, mon Serviteur justifiera les multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes… » (Is 53,11 )
Se laisser laver par Jésus, c’est consentir à entrer dans ce processus de don de soi jusqu’à la mort, qui ne peut s’arrêter et où Jésus entre en toute connaissance de cause. « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi » (Jn 13,8). Derrière cette remarque, on voit déjà poindre la destinée finale du Serviteur. Alors… puisqu’il en est ainsi. Puisque le disciple est appelé à avoir part au destin glorieux du maître… « pas seulement les pieds mais aussi les mains et la tête » (Jn 13,9), dit Pierre qui consent à s’abandonner au bon vouloir du Maître.
Le sens du geste de Jésus (Jn 13,12)
Jésus reprend donc ses vêtements après s’en être dépouillé, geste qui prend ici le sens d’une résurrection. Il retrouve sa dignité. Il n’est plus l’esclave. Et il va donner lui-même le sens de ce qu’il vient de faire. Comme cela est si bien dit dans l’hymne aux Philippiens : il est «déjà», à travers son geste, exalté à la droite de Dieu. Le « Jésus » johannique est déjà glorifié depuis le début : Jean le voit tout au long de son Evangile comme « Seigneur ». Le verbe qu’il utilise ici : « Je suis, eimi gar – eimi gar, je suis, en effet » (Jn 13,13).
Qu’a fait Jésus en lavant les pieds des disciples ? Il a pris la condition du Serviteur… il a posé le signe qui l’engage sur le chemin du don de sa vie pour tous. Et il demande maintenant à ses disciples d’en faire autant. Pas seulement de se faire des gestes de gentillesse, de se rendre des services en passant… mais d’être « serviteurs » les uns des autres. Il demande à ses disciples d’avoir les uns pour les autres un amour assez fort pour aller jusqu’au bout, jusqu’au don de leur vie s’il le faut. « Ayant aimé les siens, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13,1). Et en finale, il leur recommande : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous » (Jn 13,14-15). Il ne dit pas autre chose dans l’institution de l’Eucharistie. « Faites ceci en mémoire de moi ! ». Nous comprenons pourquoi il n’est pas besoin à l’évangéliste de rappeler l’institution de l’Eucharistie. Le sens profond nous en est ici donné !
Tout le discours après la Cène n’est que l’explicitation de cette «parabole» vivante qui vient de se dérouler sous leurs yeux. C’est cela son commandement nouveau fait chair : Je vous donne un commandement nouveau. « Aimez-vous les uns les autres. Oui, comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. A ceci tous vous reconnaîtront pour les disciples :à cet amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13,34-35)
Nous sommes au cœur même de notre condition de disciples. Si tout le récit de la « glorification » et de I’« élévation », celui de la Passion nous manquait, tout est dit dans le geste de Jésus. Nous avons là assez pour comprendre ! Vivre le commandement, toujours « nouveau », de l’amour donné, donne le sens à tout le reste. Oui, facile à dire… mais c’est bien là que toute notre vie de disciple puise son sens. La mission, c’est d’abord savoir nous accueillir, nous aimer les uns les autres. Apprendre à nous écouter, à nous respecter en profondeur jusque dans nos différences parfois incompatibles, porter un intérêt réel aux autres, à commencer par nos frères et sœurs les plus proches. Bien sûr, il ne s’agit pas de vivre en ghetto… mais de nous persuader que construire une communauté évangélique a plus d’importance encore que toute autre œuvre apostolique ! Parce que la communauté est le meilleur laboratoire, le meilleur atelier de vie évangélique que l’on puisse imaginer. Ce n’est pas pour rien que Jésus a vécu ses trois ans de vie publique avec un groupe d’hommes et de femmes, première cellule du Royaume où il ne devait pas être facile de s’accorder. Faire coexister un groupe de pêcheurs avec un collecteur d’impôts, des intellectuels marques par l’observance de la Loi et les membres d’une racaille qui ne connaît pas la loi… Il m’est facile d’avoir un grand amour pour les aborigènes d’Australie et les esquimaux du Canada. Je n’ai aucun mal à les aimer vraiment, surtout à la télévision. Je vous assure que je les aime ! Mais accueillir et aimer ce compagnon, cette compagne de communauté ou de famille à travers ses défauts, ses manières… qui bien sûr me sautent tout de suite aux yeux… ses habitudes qui ne collent pas aux miennes…
« Je n’aime pas que les portes soient toujours ouvertes… mon compagnon n’aime pas qu’elles soient toujours fermées. D’ailleurs, il ne pense qu’à lui… Dans ma communauté, chacun ne pense qu’à lui ! Heureusement que je suis là pour penser un peu… à moi ! »
Oui, la communauté, ma communauté, restreinte ou élargie, est un lieu privilégié pour vivre l’Évangile. C’est mon « milieu divin » comme le disait Teilhard de Chardin. Voilà pourquoi je dois aimer ma communauté et chacun de ses membres. Parce qu’ils me provoquent à un amour vrai, sans échappatoire.
Je ne dois pas avoir peur des conflits, des sautes d’humeur, des tensions. Une communauté «sans histoires» n’est pas une communauté. Il ne s’agit pas de s’en créer pour le plaisir ! Elles viennent bien toutes seules. Mais d’accueillir les crises comme des occasions de grandir ensemble. N’ayons pas peur de nous donner les moyens pour une vie communautaire et ecclésiale plus authentique, plus vraie. « A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Nous sommes bien là au cœur de l’essentiel.
Je terminerai par une citation de saint Augustin. Il avait fait écrire ce mot dans le réfectoire de la communauté où il vivait : « Celui qui maudit de son prochain ne saurait avoir place à cette table. » Voici ce qu’il dit dans son Commentaire de la Lettre de saint Jean : « Quoi donc Qui aime son frère aime aussi Dieu ? Nécessairement il aime Dieu, nécessairement il aime l’Amour même. Peut-il aimer son frère sans aimer l’Amour ? Nécessairement il aime l’Amour. Mais quoi ! Du fait qu’il aime l’Amour s’ensuit-il qu’il aime Dieu ? Oui, bien sûr. En aimant l’Amour, il aime Dieu. Si Dieu est Amour, quiconque aime l’Amour aime Dieu. Aime donc ton frère et sois sans inquiétude. »
N’ayons donc pas d’autre souci que celui d’aimer. La mission… c’est d’abord cela et c’est possible en tout lieu, en tout temps et à tout âge… jusqu’à en mourir ! Notre vocation est de l’ordre du service et de la filiation… Elle fait de nous des serviteurs de l’humanité dans toutes ses dimensions, à la suite du Serviteur… Elle fait de nous des fils et des filles qui reconnaissent en toute personne un enfant bienaimé de Dieu. Saint Augustin, lui encore, Ta écrit dans cette phrase lapidaire: «Aime… et fais ce que tu voudras.»
POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE
Marthe et Marie. Deux vocations différentes. Un même but : servir.
Là où je suis, dans la part qui m’est confiée, ai-je conscience d’être au service du Royaume qui vient ? Suis-je persuadé(e) d’y être, d’une certaine façon, « indispensable » ? À quoi suis-je appelé(e) aujourd’hui dans cette place qui est mienne ?
Jésus Serviteur. Je me remets dans la dimension pascale du lavement des pieds. Tout geste de service me situe dans la ligne du Serviteur qui donne sa vie. Est-ce ainsi que je vois toute ma vie de disciple, jusque dans ses actes les plus simples ?
Que me dit cette scène sur Dieu à genoux aux pieds de l’homme ? Que vient-elle corriger de l’image que je m’en fais ?
4ème rencontre Formation MO
Chapitre 15 – LA RENCONTRE AU TOMBEAU VIDE – Jn 20 ?1-10
Il vit et il crut (Jn 20,8)
Dans le déroulement de l’histoire, la résurrection de Jésus n’est pas « un » événement parmi d’autres, elle est « l’événement » par excellence. Et il n’est pas d’événement historique qui atteigne à ce point chaque membre de l’humanité. Teilhard de Chardin écrivait : « Le Christ est ressuscité. La Résurrection, nous cherchons beaucoup trop à la regarder comme un événement apologétique et momentané, comme une petite revanche individuelle du Christ sur le tombeau. Elle est bien autre chose, et bien plus que cela… Elle marque la prise de possession effective par le Christ de ses fonctions de centre universel » (Pierre Teilhard de Chardin. Être plus, p. 75). Nous savons que Teilhard est mort un jour de Pâques. Ce fut l’accomplissement de son désir. La Résurrection est la re-création et la victoire du Fils de Homme, donc la nôtre. La Résurrection du Christ est aussi la nôtre, sinon… elle est une belle histoire, certes, mais aussi irréelle qu’un conte de fées !
Nous sommes au premier jour de la semaine. Non plus dans le fracas du grand big bang initial mais dans la reconstruction silencieuse de l’univers et de l’homme par le dedans. Une reconstruction à laquelle nous sommes désormais personnellement associés parce qu’avec Jésus, nous sortons aussi de notre tombeau. Le disciple qui croit a désormais la mort derrière lui. C’est là aussi que prend racine la vocation du disciple. Un jour de grande épreuve, le Cardinal Lavigerie dit dans un sursaut foi : « Je suis le disciple d’un maître crucifié qu’on n’a jamais pu enfermer dans un tombeau ». Si je crois au Ressuscité, ma mort n’est plus devant, elle est déjà passée, elle est derrière moi. La foi est une sortie du tombeau et une entrée dans la plénitude de la Vie, comme l’avènement d’un nouveau printemps. Incroyable ! On ne peut s’arrêter sur une telle découverte sans être pris de vertige.
Marie découvre le tombeau vide. Pierre et Jean au tombeau. (Jn 20,1-10)
Nous ne savons pas trop ce qui pousse Marie de Magdala à aller de si bon matin au tombeau, alors qu’il faisait encore sombre. Mais cette note caractérise bien sa nuit intérieure. Le soleil en elle ne s’est pas encore levé. Peut-être pense-t-elle aller terminer un embaumement fait un peu à la hâte ? Ou tout simplement elle vient faire son deuil. Quoi qu’il en soit, elle ne s’attend pas à trouver les choses comme elles se présentent. Surprise ! Elle se trouve devant un tombeau ouvert et vide ! Alors va commencer la plus belle course de fond et de relais de tout l’évangile. Elle court chercher les deux compagnons qui ne se sont plus quittés depuis la comparution de Jésus devant Caïphe : Pierre et le disciple que Jésus aimait. C’est cette proximité qui a sauvé Pierre. La présence de Jean à côté de lui a été comme une marque de confiance. Il ne l’a pas laissé tomber, même après la trahison, il est resté là ! Lorsque quelqu’un tombe et faute, lorsqu’il trahit, le vide se fait autour de lui… on ne le fréquente plus. Le disciple bien-aimé a gardé la main de Pierre… Et Pierre a tenu bon. Quel aurait été le sort de Judas si quelqu’un l’avait suivi pour ne pas le laisser seul ?
Ici, Marie de Magdala, nous est présentée comme l’épouse du Cantique parcourant la ville à la recherche du Bien-Aimé. N’ayons pas peur de le voir, ce qui se passe est une extraordinaire histoire d’amour.
« Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé ! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville… Je chercherai celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché mais ne l’ai pas trouvé. Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville. Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? » (Ct 3,1-3) « C’est toute éplorée qu’elle arrive auprès de Pierre et Jean : On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis » (Jn 20,2).
Va alors se faire la seconde course, dans le sens inverse… Le relais est passé, on ne s’attend même pas l’un l’autre. C’est l’affolement. Il en est toujours ainsi lorsque le drame ou l’imprévu viennent contredire nos prévisions. Jean, sans doute le plus jeune, arrive le premier. Mais, geste admirable de reconnaissance, il n’entre pas. Il laisse son compagnon franchir la ligne d’arrivée ! Moyen de redire à celui qui a trahi voici deux jours : « Tu es Pierre ». Jean reconnaît la primauté de celui qui a été mis par Jésus comme la pierre de base de la nouvelle communauté. Il attend. Simon-Pierre arrive.
Tout se passe dans un silence extraordinaire, tout se passe dans les regards. Ils ne se disent pas un mot. On dirait qu’en entrant dans le tombeau, Pierre et Jean entrent à l’intérieur d’eux-mêmes… Ils n’y trouvent ni désordre ni mort… mais harmonie, silence. Les bandelettes à terre… le suaire roulé à part… Sur quoi va donc se fonder la foi du disciple ? « Il vit et il crut » (Jn 20,8).
Voici plusieurs années, j’étais en vacances d’été chez ma mère. Elle s’appliquait à sa machine coudre et je lisais le journal. Arrive une de ses amies d’enfance qui revenait d’un pèlerinage à Medjugorje. Après les salutations d’usage, elle dit à ma mère, toute frémissante de la nouvelle qu’elle voulait partager : « Eh bien, Marie Louise, tu ne sais pas ce que j’ai vu à Medjugorje ?» Silence de ma mère (… pas la Sainte Vierge quand même!) « Eh bien, reprit-elle, j’ai vu… les voyants ! » De nouveau silence sceptique de ma mère. « Oui, mais j’ai vu les voyants quand ils voyaient ! » Et je me suis dit… c’est sans doute cela la foi : croire sur l’expérience de témoins qui maintenant se perdent dans la nuit des temps !
Il vit et il crut… Sur quoi porte son regard ? Sur des bandelettes inutiles, sur un suaire rangé dans un coin. Sur une absence. Mais ces quelques objets, les bandelettes et le suaire, lui rappellent Lazare sorti de son tombeau… Il vit et il crut. Il ne lui en faut pas plus. Le récit évangélique pourrait s’arrêter là… Derrière cette absence, ce vide, son cœur se remplit d’une autre présence, invisible celle-là. C’est peut-être la grâce attachée au tombeau vide de Jérusalem. Lorsque j’y suis entré pour la première fois, cette inscription en latin, gravée sur une plaque reluisante de cuivre jaune, m’a sauté aux yeux : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, il n’est pas ici… »
Jean a fait l’expérience du « chrétien ordinaire », celle que nous faisons tous lorsqu’au-delà de l’absence et du vide… nous croyons. C’est en ces termes que s’exprime Éloi Leclerc (Le Royaume caché, p. 213) :
« Jadis l’expérience de l’absence de Dieu était réservée à une élite… aux mystiques et aux saints. Aujourd’hui, elle est devenue le lot commun. Au regard de cette expérience, que signifie le message évangélique d’un Dieu-Amour ? Dans la nuit de la mort où Dieu se tait, quelle lumière, quelle espérance peut apporter la Bonne Nouvelle ? Le choc de cette question m’a conduit à relire le Évangiles. Ma conclusion est que le message de Jésus s’adresse en premier lieu aux hommes qui vivent une telle situation d’abandon et d’éloignement. À condition, bien sûr, que ce message soit présenté dans ce qu’il a de plus proprement nouveau : non seulement comme une Loi plus parfaite, mais avant tout comme la révélation ultime de Dieu au cœur même de tout ce qui crie son absence. »
Il en est ainsi. Dieu est plus proche de celui qui le recherche dans la nuit que de celui qui s’installe confortablement dans l’illusion de l’avoir trouvé une fois pour toutes…
Les disciples s’en retournèrent chez eux… (Jn 20,10)
L’apparition à Marie de Magdala (Jn 20,Il-18)
Marie n’est pas repartie avec les deux disciples. Elle n’a pas encore fait son chemin de foi. Elle est revenue au tombeau pour pleurer. Et voici qu’à travers le voile de ses larmes, elle se penche vers le tombeau, et voit deux anges vêtus de blanc, assis où reposait le corps de Jésus, l’un à la tête, l’autre aux pieds (Jn 20,12). Ce lieu qu’elle croyait être habité par la mort et l’absence, le voici animé par la Présence et la Vie. Mais les anges ont beau être là… ce ne sont pas eux qu’elle cherche ! « On a enlevé « mon » Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis » (Jn 20,13). Celui qu’elle cherche n’est plus ici. Rien ne le remplacera.
On peut sans mal imaginer ce qu’avait été pour elle Jésus. Le seul homme qui sans doute l’avait abordée sans ambiguïté ; le seul qui l’avait révélée à elle-même dans son être de femme et non d’instrument de plaisir. Il est des regards qui tuent et qui enfoncent dans la mort et l’abime. Celui de Jésus l’a fait revivre et l’avait remise debout. Et maintenant qu’il n’est plus là… tout semble s’écrouler.
C’est alors qu’elle se retourne (Jn 20,14). Le tombeau où on avait mis Jésus était dans un jardin. Cette rencontre dans le jardin n’est pas fortuite. Le jardin où le grain a été mis en terre, celui du tombeau, devient le jardin de la genèse, celui des origines et des commencements. C’est dans ce lieu qu’Adam et Eve jouissaient de l’intimité de Dieu. Dans le jardin du tombeau, la femme va retrouver la présence de son Seigneur Qui cherches-tu ? (Jn 20,15) C’est la parole des origines, la première adressée aux disciples lors du premier appel : « Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38) Un cadavre ? Un souvenir ? Une présence sans vie que tu tiendras prisonnière ? Dis-moi… Qui cherches-tu ? « Seigneur, si c ‘est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu i ‘as mis et j’irai le prendre » (Jn 20,15). Un corps inanimé… voilà ce qu’elle demande dans son chagrin et son deuil : une ultime consolation. Elle ne reconnaît même pas celui qu’elle cherche et le prend pour le jardinier! Cependant, un seul mot va suffire pour que le voile tombe : Marie! Elle est interpellée par son nom. Il en est ainsi du pasteur pour chacune des brebis du troupeau. Il les appelle chacune par son nom (Jn 10,3). Ne crains pas, dit Dieu dans Isaïe (Is 43,1), car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi… car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix, et je t’aime. C’est ainsi qu’en son Fils, Dieu me regarde : à ses yeux je compte ! C’est une révélation qui m’a bouleversé un jour où j’avais fait un long trajet pour dire à un vieil ami mon découragement après une année difficile. J’entends encore sa voix forte, persuasive, marquée par son fort accent italien : « Claude, Jésus, il t’aime comme aucun vocabulaire de la terre ne peut te le dire ! » J’ai depuis gardé au plus profond de moi cette bouleversante déclaration qui m’a été faite avant même que j’ouvre la bouche. Je le savais peut-être, oui, mais sans le réaliser. Ce que je portais dans ma tête a soudain basculé et m’est tombé dans le cœur. « Il t’aime comme aucun vocabulaire de la terre ne peut te le dire ! »
Marie s’entend appelée par son nom, au creux de sa nuit. Et voici que le soleil se lève… Elle se retourne (Jn 20,16)… mais elle s’était déjà retournée! Cette fois-ci, son retournement est intérieur… elle était encore, bien que face à Jésus, tournée vers la mort. Cette fois-ci… elle est devant le Vivant: Rabbouni ! Maître ! Dans un geste qui ne nous est pas dit, elle le saisit, comme l’épouse du Cantique, pour le garder avec elle : J’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point (Ct 3,4). Une nouvelle relation va s’établir. Celle de la foi. La Présence au-delà de l’absence. Ne me retiens pas ainsi, car je ne suis pas encore monté vers le Père (Jn 20,17).
Jésus ne se laissera plus toucher que par la foi. Son retour vers le Père est le point de départ d’une relation nouvelle pour celui qui croit. Ce que Jésus veut nous partager désormais, c’est son intimité avec Dieu son Père. Je monte vers mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (Jn 20,17).
Mais avant de la quitter, il lui confie une mission. Il l’envoie auprès de ses frères. Là encore, comme après les noces de Cana, les disciples sont vus dans une relation nouvelle. Ce sont « les frères »… C’est bien comme une fraternité que Jésus voit désormais son Eglise. Va trouver les frères et dis-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20,17). Cette nouvelle fraternité a sa racine dans la relation filiale qu’il vit avec le Dieu de tous. Marie de Magdala va donc annoncer aux disciples : J’ai vu le Seigneur et voilà ce qu ‘il m’a dit (Jn 20,18). Elle a compris qu’elle ne trouvera désormais son Seigneur qu’en l’annonçant aux autres. Elle est chargée de les enfanter dans cette Bonne Nouvelle !
C’est ainsi que Paul lui-même conçoit son apostolat, d’une façon très maternelle : Mes petits enfants, dit-il aux Galates qu’il a évangélisés, que j’enfante à nouveau dans la douleur jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous (Ga 4,19).
C’est en véritable apôtre que Jésus envoie Marie de Magdala. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle sera nommée par les Pères de l’Église: apôtre des apôtres. Elle va, nous dit saint Jean, évangéliser les disciples. C’est la seule fois dans tout ce Quatrième Évangile, que nous trouvons ce verbe « évangéliser » et il est attribué à une femme. Verbe incontournable :
« Lorsque vous êtes passé sur la terre, vous n’avez point, ô Seigneur de mon âme, abhorré les femmes… Et vous avez trouvé en elles autant de foi et plus d’amour que chez les hommes…
Quand je regarde l’époque à laquelle nous vivons, je ne trouve pas du tout juste que l’on dédaigne des cœurs vertueux et courageux pour le seul fait qu’ils se rencontrent chez des femmes. » (Thérèse d’Avila. Chemin de Perfection 4,1)
Réflexion qui traverse les siècles et reste d’une brûlante actualité! Mais avouons-le… nous avons du retard ! Comment penser après cela que les femmes ne peuvent avoir dans l’Eglise que des charges de sacristines, de catéchistes, de lectrices dans les assemblées, voire même de secrétaires dans les administrations ecclésiastiques ? C’est à une femme qu’est confiée ici la Bonne Nouvelle de la Résurrection.
« En fait, ce sont les femmes, dans les évangiles, qui se montreront fidèles parmi les fidèles : ce sont elles qui l’accompagneront à la croix, alors que les apôtres sont enfuis sauf Jean, un seul qui accueillera sa mère – et surtout, c’est à une femme, Marie de Magdala, à laquelle il apparaîtra près de son tombeau. Enfin, c’est à cette même Marie, et non à Simon Pierre que Jésus confie la plus importante des missions: l’annonce de la résurrection. » (Josy Eisenberg. La femme au temps de la Bible, p. 386)
La place de la femme dans l’Eglise est en rapport direct avec le mystère pascal. De Béthanie au tombeau vide, présentes au pied de la croix, elles ont été fidèles, parce qu’elles ont, plus que les hommes, un lien avec la Vie. Un lien indélébile inscrit dans leur chair, une vocation prophétique. C’est à elles d’abord que Jésus a confié la bonne nouvelle de la Vie, la bonne nouvelle de la Résurrection, c’est-à-dire de notre propre renaissance.
Marie de Magdala est tout simplement allée – qu’on s’en souvienne ! – prêcher la première retraite pascale au Pape et aux Evêques !
POUR ALLER PLUS LOIN DANS LA PRIÈRE
Il vit et il crut. L’expérience de la Foi s’origine dans celle du tombeau vide. J’y entre avec Pierre et le disciple bien-aimé. Je remets Jésus mort et ressuscité au cœur de ma vie.
J’écoute Jésus me redire Qui cherches-tu ?. Cette question est celle que Jésus pose aux premiers disciples.
Puis-je y donner une réponse renouvelée au terme de cette retraite ?
Je l’écoute m’appeler par mon nom. Je l’écoute dans cet indicible appel qu’il me fait encore aujourd’hui. Il me reconnaît par tout ce que je suis, dans tout ce que je suis. Je suis aimé(e) !
Et maintenant, sous quel visage inconnu ou connu suis-je appelé(e) à le rencontrer ?
Comment vois-je la vocation de la femme dans la communauté des disciples ? Dans la place et l’appel qui sont miens aujourd’hui, à quoi m’invite-t-il maintenant ?